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29 avril 2015 3 29 /04 /avril /2015 11:18

 

 

Alexandre Jollien vit en Corée depuis 18 mois. Avec son épouse et ses trois enfants. Le philosophe valaisan est parti vivre en famille une expérience spirituelle auprès du Père Bernard, jésuite canadien et maître zen. Vivre sans pourquoi est le journal sans fard de ce cheminement radical et joyeux. Ancrée dans le quotidien, dans le corps, la quête d’Alexandre Jollien inspire et nourrit. Questionne aussi. A Paris deux semaines pour présenter son livre, il est venu accompagné d’un ami coréen avec qui il parle en… coréen. Devant notre regard admiratif, il tempère: «Ce ne sont que quelques mots courants.»

 

Interview par www.letemps.ch

 

 

 

Samedi Culturel: On vous connaît comme philosophe. Vous voilà sur un chemin spirituel exigeant en Corée. Que s’est-il passé?

 

Alexandre Jollien: La philosophie a donné un cap à ma vie. Elle m’a aidé à cheminer vers l’intériorité. Mais il est arrivé un moment où j’ai senti le besoin d’oser un pas supplémentaire et de mettre la pratique spirituelle au centre de ma vie.

 

Vous avez toujours eu la foi?

 

Oui, mais elle était très intellectuelle. Quand j’étais à l’Institut catholique pour personnes handicapées, à Sierre, il y avait un prêtre, le Père Morand, qui était bon, généreux. Rien que de le voir m’apaisait. J’ai lu aussi beaucoup d’auteurs sur la foi. Mais la dimension affective, c’est-à-dire la pacification intérieure, n’était pas présente.

 

Comment avez-vous découvert le zen?

 

En suivant ma femme Corine à une conférence, en Suisse. C’était une brève introduction au zen. Il y avait un temps de méditation prévu. Je n’y étais pas du tout réceptif à l’époque mais j’ai fait les exercices. Et j’ai ressenti une paix intérieure, profonde, surgir du corps. J’ai voulu concilier cette expérience avec ma foi chrétienne. C’est pour cela que j’ai cherché un maître zen qui soit aussi chrétien et si possible prêtre.

 

Pourquoi un prêtre?

 

Parce que le prêtre est une figure importante pour moi depuis l’enfance, un peu comme un guide à la Socrate qui est là pour prêcher par l’exemple et non pas seulement par la théorie. Il se trouve qu’il existe un maître zen qui est jésuite et Canadien et qui vit et enseigne en Corée, le Père Bernard.

Devenir le disciple d’un maître est une démarche éloignée des habitudes en 2015. Pourquoi cette envie?

Il y a dix ans, j’ai rencontré Bernard Campan, le comédien, qui est devenu mon meilleur ami. Notre unique engueulade a porté sur cette notion de maître. Il suivait à l’époque l’enseignement d’Arnaud Desjardin. Je ne comprenais pas ce besoin d’avoir un maître, c’était de l’aliénation pour moi.

 

Et aujourd’hui?

 

C’est le zen qui a changé mon regard. Un père spirituel nous fait advenir à nous-mêmes. C’est quelqu’un à qui on peut tout dire sans avoir peur de blesser. C’est quelqu’un avec qui le lien d’amour est inconditionnel. Je n’ai pas à lui plaire comme à un patron ou comme à une quelconque relation sociale. Comment trouver la paix intérieure quand on a lutté toute sa vie contre l’épreuve? Comment supporter d’être seul? Comment descendre dans l’intériorité? C’est une sacrée paire de manches! Un guide nous montre qu’une pratique à fond est possible alors que l’on a toujours tendance à faire des compromis.

 

A aucun moment vous n’avez eu envie de vous consacrer au bouddhisme?

 

Ce qui m’est précieux, c’est vraiment une spiritualité du dialogue. C’est la rencontre qui permet d’approfondir notre identité. Je ne pourrais pas me passer de l’étude du bouddhisme qui propose une sagesse pour purifier l’esprit des émotions perturbatrices. Je n’ai trouvé cela nulle part ailleurs. Et dans le christianisme, il y a une présence, un appel, qui m’habite profondément.

 

Le zen a réveillé votre foi chrétienne?

 

Cela m’a décapé des préjugés et des réponses toutes faites, même si j’en ai encore beaucoup, évidemment. Mais cela m’a reconduit au silence et c’est dans ce silence que j’ai senti la source chrétienne, qui était très vide.

 

«Vivre sans pourquoi», comme l’indique le titre du livre, qu’est-ce que ça veut dire?

 

Paradoxalement, c’est mon programme en Corée. L’expression vient de maître Eckhart, le théologien allemand, qui dit que la vie est sans pourquoi. Quand la méditation est très dure pour moi, je reviens à ce concept de vivre sans pourquoi. J’ai trois chantiers: ne plus être ligoté aux objectifs, c’est-à-dire me dire sans cesse quand j’aurai atteint ci, quand j’aurai fini ça… C’est une logique qui peut être épuisante et qui m’épuise littéralement. Le deuxième chantier, c’est cesser d’être conditionné par le regard de l’autre. Quand on vit pour ce que les autres pensent de soi, il y a une dimension tragique affolante. En ce sens, le handicap m’aide à sortir peu ou prou de cette dépendance.

 

Et le troisième chantier?

 

Il est lié au premier, c’est essayer d’habiter le présent. Beaucoup de livres nous disent de profiter de l’instant présent. Mais ce n’est pas quelque chose d’aisé. Nous sommes formatés pour regarder toujours plus loin. Revenir à la maison du présent, savoir qu’ici et maintenant tout est accompli, c’est une ascèse.

 

A quoi ressemble votre vie quotidienne à Séoul?

 

La Corée est un projet familial. Toute la famille s’est mise à l’école d’une vie spirituelle. Ma femme pratique le zen aussi, elle est encore plus assidue que moi. Mes enfants vont à l’école coréenne. Ils parlent coréen. J’apprends la langue grâce à eux et à leurs copains qui viennent à la maison. Je prends des cours aussi. Grâce à ce séjour, j’ai retrouvé une vie de famille. En Suisse, j’étais très dispersé par le travail, les conférences à donner. En Corée, mon activité principale, c’est l’étude, la pratique et la vie de famille.

 

Partir, quitter un confort de vie, c’est aussi pour remettre les compteurs à zéro, non?

 

C’est vrai qu’en Suisse, la pression sociale était forte. Quand je sortais acheter du pain, les gens venaient vers moi pour me raconter leurs soucis, des suicides, des maladies. Je le vivais comme un cadeau, mais c’était redoutable pour moi qui manque de légèreté parfois. Quand on a trois enfants et que l’on essaie de faire confiance au lendemain sans imaginer le pire, c’est oppressant. L’autre chose, c’est la notoriété. Je me suis battu pour être reconnu en pensant que cela allait compenser le handicap. En Corée, personne ne sait qui je suis. Apprendre à exister par soi-même, pas forcément pour ce que l’autre croit que l’on est.

 

Dans «Vivre sans pourquoi», vous ne cachez rien de vos difficultés à pratiquer le zen, à vivre dans une ville dont on ne parle pas la langue…

 

La vie est un laboratoire. En montrant le laboratoire tel qu’il est, je rappelle que l’on n’est pas dans une carte postale, celle d’un philosophe qui a surmonté son handicap, qui a une famille, qui écrit des livres… J’ai beaucoup souffert d’angoisses. J’avais peur d’attraper le sida au point de ne pas pouvoir toucher les poignées de porte par exemple. L’anxiété est un laboratoire. Le feu émotionnel aussi. Le lieu de la libération est là. Depuis que je suis en Corée, j’ai beaucoup moins peur. Je me suis aussi libéré de l’armée de médecins qui m’entourait en Suisse. L’ascèse, une forte hygiène de vie m’ont libéré de certaines tutelles.

 

La difficulté de se faire des amis à Séoul revient souvent dans le livre…

 

Je suis très sociable. En Suisse, je vivais avec des amis du matin au soir, cela me constituait. Dans les bars de Séoul, je pouvais rester quatre heures, sans l’échange d’un regard. C’était formateur! Je ne sais pas ce que je cherchais vraiment. Des frères, les copains que je n’ai pas eus à mon adolescence? Depuis, je me suis fait des amis coréens. Avant j’allais vers les autres par peur, par besoin. Aujourd’hui, quand je vais vers quelqu’un j’ai moins d’attente que l’autre soit un pansement qui me soigne. J’ai conscience que la blessure fait partie du paysage et je vais vers l’autre gratuitement. C’est beau! Cela peut passer pour de l’indifférence, c’est tout le contraire.

 

Cela fait 18 mois que vous êtes en Corée. Jusqu’à quand comptez-vous y rester?

 

Nous ne savons pas encore. Au vu de l’investissement pour apprendre le coréen, il ne faut que pas que ce soit un feu de paille, y compris pour les enfants. Il ne faut pas que ce soit du zapping. Nous verrons!

 

 

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/11192bda-c434-11e4-a445-d520cd1a7313/Alexandre_Jollien_A_S%C3%A9oul_personne_ne_me_conna%C3%AEt

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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commentaires

A
voilà, c'est ça, merci !
Répondre
L
du coup j'ai mis une interview d'Alexandre Jollien ! merci de l'idée ! bonne soirée

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  • Passionnée par l'âme humaine, je cherche sans cesse du sens et le sens de notre chemin d'humain. 
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  • Passionnée par l'âme humaine, je cherche sans cesse du sens et le sens de notre chemin d'humain. Mon propre chemin n'est qu'un zig-zag en dehors des autoroutes et je n'ai pas encore épuisé tous les chemins de traverse...

Auteur - Photographe

Michèle Théron, praticienne de santé naturopathe, femme en chemin, je vous partage sur ce blog des articles, de la poésie, des photos créés par moi, et les citations, articles, vidéos qui nourrissent mon chemin et m'inspirent.

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