Ce texte est un hommage que j'avais écrit pour Marguerite Kardos, mon acupunctrice pendant des années, et dont l'accueil était toujours un baume pour moi.
C'est aussi un hommage à l'invisible, à ce qui dépasse le soin, la technique, et à ce qui nous pousse à chercher l'au-delà, la magie et le mystère de la vie.
Gratitude
MT
Depuis toujours, tu piques. Tu piques les peaux, tu piques les douleurs, tu piques des points, tu ne laisses aucun répit à chaque centimètre de peau que ta main peut atteindre. Tu tricotes sur le corps des humains d’invisibles réseaux pour retisser les fils brisés des cœurs lourds, des vies blessées, des voyageurs en panne, immobiles et perdus sur le chemin de leur vie.
Mais savent-ils ceux qui viennent chercher la guérison, qu’ils doivent peu à tes aiguilles ? Savent-ils que ta science pourtant ancestrale entre dans l’ombre, quand ils entrent chez toi ? Pardon tout à coup de jeter le discrédit sur ton art, cette technique si… pointue, pratiquée avec dextérité par tes doigts de fée !
Savent-ils la première fois qu’ils viennent, que dans l’ombre de la pièce, envahie par l’ombre de leur souffrance, brille ta robe de lumière, légère, invisible, discrète ? Savent-ils qu’autre chose flotte dans la pièce et entre par le bout de tes aiguilles, pour aller les toucher au-delà de leur chair ?
S’ils ne l’ont pas encore vue –il faut parfois des années de pratique pour s’en rendre compte !-, alors il est une chose qu’ils ne peuvent oublier. Devant leurs mots blessés, lancés comme des balles que tu dois attraper, devant la longue liste de bobos, de souffrances, de peines qu’il te faudrait guérir qu’un coup d’aiguille magique : juste ton regard, clair, lumineux, toujours émerveillé. Juste tes yeux qui se lèvent vers le ciel et cherchent le fil conducteur à mélanger à tes aiguilles, qui cherchent les mots justes, les images qui guérissent, l’inspiration qui servira de baume.
Depuis si longtemps, toujours la même fête, celle d’être fêtés par ton regard qui puise en nous tous le meilleur, le plus lumineux, le plus noble. A chaque rencontre, l’incroyable sentiment d’être unique, d’être beau, d’être aimé, de cette façon si rare et inconditionnelle. A chaque fois, ce regard comme un rempart, qui empêche de tomber, qui relève de la chute, qui permet de garder le cap droit devant, mais surtout droit vers le haut. A chaque fois, par ce regard clair, par la parole singulière, le merveilleux entre alors dans l’ombre, tisse sa toile dorée, noue les fils égarés pour nous amener doucement à chercher l’ineffable.
Ainsi.. de fils en aiguilles, se tressent nos chemins, travail de dentelle fait d’une pointe d’argent et d’une pointe de lumière.
Michèle © 13.02.06