Dès le commencement
J’ai voulu t’offrir ma lumière
Au risque de réduire la mienne
J’ai pleuré intérieurement pour toi ma mère
Qui souffrait sans rien dire
Mais qui brisait mon cœur par ta dureté
Tes mots maladroits et tes mains sans tendresse
Je me suis enfuie pour survivre
Vers d’autres cieux intérieurs
Où ni toi, ni moi ni personne n’a pu savoir où j’étais
Je me suis faite toute petite devant toi mon père
Sans déployer mes ailes qui palpitaient
De peur que tu sentes tes limites
Je t’ai admiré en silence, sans m’opposer
Pour compenser, pensais-je
Tous ceux qui ne t’avaient pas vu et pas compris
J’ai pris soin de vous, enfants mis sur mon chemin
J’ai évité la colère, les cris et les blâmes
Pour ne pas écorcher vos âmes
Comme la mienne l’avait été
Préférant l’accueil au rejet
Les sourires au masque froid
Les gestes tendres à la distance imposée.
Je suis restée à tes côtés, longtemps,
Pour t’enseigner l’amour et la patience
Toi le compagnon de chemin
Sans jamais juger de la lenteur de ton pas
Moi qui voulais courir impatiente
Vers un demain partagé
Je me suis faite amie pour toi ma sœur
Ecoutant nos histoires en résonance
Laissant couler mes visions et mes mots
Sachant que mieux te comprendre
C’était aussi mieux me comprendre
Sachant que m’offrir, c’était recevoir
Et qu’on n’avance bien que main dans la main
J’ai ralenti mon pas, pour toi ma mère
En restant devant la geôle de silence
Qui t’emprisonna de si longs mois
Cherchant à insuffler dans l’urgence
L’amour qui n’avait pas su se dire
J’ai parlé sans écho devant ton corps
Branché aux machines, débranché d’ici
Mais branché vers un ailleurs sans retour
Et j’ai tenu ta main, comme un esquif
Où il me semblait que toi et moi nous coulions
Sans pouvoir nous dire au revoir
Je me suis mise à genoux en révérence
M’inclinant devant ton dernier voyage
Toi mon père si droit jusqu’à la brèche
Qui allait fendiller ton armure
J’ai regardé avec amour cet effondrement
Faisant de mon regard un rempart
Contre le désamour de ceux qui n’aiment
Ni la vieillesse, ni la mort
Je suis restée désarmée devant nos impuissances
A dire qui nous étions, toi l’homme-père
Et moi la fille devant te laisser partir
Et quand tu as rejoint l’oiseau
Venu m’annoncer que tu allais t’envoler
Au milieu de la nuit noire et silencieuse
Seule comme la petite d’autrefois
J’ai prié, rêvant que tu étais mieux entouré que moi
Et que ton âme trouvait son chemin sans encombre
Je me suis faite aimante et enseignante
Pour toi l’ami offert par le hasard
Sur la route nouvelle où je voulais relier ensemble
Terre et ciel pour de vastes guérisons
Mes mains furent brûlées
Mon cœur percé de flèches acerbes
Et mon corps entra sous terre
Comme dans la nuit la plus noire.
Ne pas se reconnaître est mortel
Le désamour assassine la lumière
Et le mépris est une arme tranchante
Qui éventre l’âme jetée dans d’autres mondes
Que l’on nomme enfers
La main n’y atteint plus rien
Quand l’avarice fait sa loi
Et la prive de son ultime connexion.
Dès le commencement
J’ai voulu t’offrir ma lumière
Toi ma Terre mère
Grande déesse bafouée et trahie
Par ses enfants ignorants et orgueilleux
J’ai voulu offrir ma lumière
Qui zigzague entre les blessures et les peurs
Ne sachant plus comment
Tracer d’un geste sûr
Une ligne sans espace ni ratures
Dès le commencement j’ai voulu offrir ma lumière
Mais je me suis perdue sur les routes sinueuses
Qui s’enfoncent au cœur des forêts sombres
J’ai pris des chemins de traverses menant nulle part
A genoux
Je demande au ciel de me relever
D’insuffler ce feu qui s’éteint
Je demande à la terre de me soutenir
De m’offrir sa force douce
Pour guider mes pas vers demain
Et revenir à mes terres intérieures.
MT ©