"Pour qu'ils m'aident il fallait que je reconnaisse que j'avais des tors partagés avec mes agresseurs.
Et quand je me suis mise à pleurer on m'a dit te rends-tu compte que tu as une attitude insolente, tu restes dans ta position de victime et tu ne parles que de justice".
Voilà le discours désastreux qui a cours à notre époque pour les victimes, enfants ou adultes, et qui permet aux témoins, observateurs, responsables, d'être les véritables complices de maltraitances et de ne pas prendre leur responsabilité.
Les mots sont importants et façonnent nos représentations. Quand un ouvrage traitant des pervers narcissiques s'intitule "Le pervers narcissique et son complice"(1), je ne trouve pas cela très heureux, plutôt provocateur et assez désastreux. Je vois la série que l'on pourrait faire : "le violeur et sa complice", "le tueur en série et sa/son complice", "les voleurs et leurs complices", bref l'idée qu'on l'a bien cherché, et même qu'on y prend goût...
Pourtant, comme le dit le psychanalyste Jean-Charles Bouchoux dans l'une de ses interviews (2), "ce n'est pas parce que l'on a une faille narcissique que ça donne à qui que ce soit le droit de mal nous parler".
Or la tendance de la société est à la perversion, c'est à dire qu'elle donne la part belle et toute latitude à des personnes perverses qui projettent sur les autres leurs propres méfaits et leurs conflits internes. Et je ne parle même pas de la sphère spirituelle ou du développement personnel, qui avec son prêt-à-penser, peut parfois aller dans le même sens en disant qu'il n'y a jamais de victime, car tout est juste dans ce monde. Ce niveau de compréhension et de réflexion est à dissocier d'avec l'ici et maintenant, face à des personnes qui subissent des choses. Car si nous ne pouvons pas faire ce discernement, alors où mettons nous nos valeurs? où pouvons-nous regarder nos propres ombres? où mettons-nous notre responsabilité, notre co-création ?
Cela m'évoque ce témoignage de Lydia, qui a été séquestrée pendant 28 ans, violée, brûlée au 3ème degré et dont le père lui a fait sept enfants... Tous le village savait, le maire savait, les gendarmes savaient, le préfet savait.... Personne n'a rien dit, rien fait, en témoigne le passage édifiant du reportage de l'époque où un habitant dit : "bin à mon avis, c'est chacun chez soi, pour moi c'est chacun chez soi, ça s'arrête là, c'est triste pour elle c'est tout".
Et quand ces situations extrêmes arrivent au meurtre du bourreau ou au suicide de la victime, c'est encore la victime qui est montrée du doigt...
Etre entendu est le premier besoin de toute personne (3).
Je salue le courage de cette jeune fille de 15 ans, qui a écrit ce livre sur son histoire (4) non seulement pour se relever mais pour aider les autres victimes du harcèlement, et l'on sait hélas combien c'est fréquent et combien de jeunes ados sont acculés au suicide suite à de tels agissements.
Ces agissements ne sont-ils pas, d'ailleurs, la conséquence du fait que les personnes ayant un pouvoir d'autorité ont abdiqué de toutes leurs responsabilités et, préférant fermer les yeux, donnent naissance à des monstres dont les pulsions ne sont plus ni encadrées ni éduquées? Ce sont les personnes adultes de l'établissement de Mathilde qui auraient dû se mobiliser et avoir une action. Au lieu de cela, nous sommes dans une société où les enfants doivent se défendre eux-mêmes, faute d'adultes assez courageux ! (5)
Que penser d’une société qui ne peut plus accueillir la souffrance d’autrui, mais qui par contre est capable d’en jouir intensément, puisqu’il s’agit de cela dans ces cas de harcèlement à l’école, mais aussi au travail, voire dans la sphère privée ?
L'indifférence à la souffrance d'autrui et la banalisation des sévices est ce qui nous transforme en monstres et permet à d'autres monstres d'exister.
Et je le souligne encore ici, pour être suffisamment compassionnel à la souffrance d'autrui, encore faut-il au minimum être capable d'écouter sa propre souffrance (6). Nous sommes entourés de personnes aux grands principes, qui se détournent au premier effondrement d'un être humain. Celui qui souffre devient un emmerdeur, un empêcheur de tourner en rond dans un monde que l'on voudrait aseptisé par le bonheur.
Exit les réfugiés, les SDF, les chômeurs, les victimes de guerres, les harcelés, les pleurnicheurs, les dépressifs, les burn-outés, les moribonds les malades, les alcoolos, les drogués, les cancéreux et tant d'autres. Mince ! Rentrez dans le rang, soyez "normaux", que les braves gens puissent dormir en paix et que nos tristes petits bonheurs ne soient pas égratignés (7) ....
MT
- "Le pervers narcissique et son complice", Alberto Eiguer, Ed Dunod
- Pervers Narcissiques et abandon Jean-Charles Bouchoux https://www.youtube.com/watch?v=DNmGJSAWvqM
- « L’enfant a un besoin inné d’être pris au sérieux et considéré pour ce qu’il est. « Ce qu’il est » signifie : ses sentiments, ses sensations et leur expression, et ce dès le stade du nourrisson. Dans une atmosphère de respect et de tolérance pour les sentiments de l’enfant, celui-ci peut, à la phase de séparation, renoncer à la symbiose avec sa mère et accomplir ses premiers pas vers l’autonomie » ; Alice Miller, Le drame de l’enfant doué.
- Mathilde Monnet, 14 ans, harcelée, http://livre.fnac.com/a9981046/Mathilde-Monnet-14-ans-harcelee
- Voir les écrits d’Alice Miller et sa notion de « témoin lucide » auteur que j'ai souvent citée dans cet article : http://lejour-et-lanuit.over-blog.com/2015/09parcours-de-guerison.html
- Guérison des blessures du passé : http://lejour-et-lanuit.over-blog.com/2016/05/guerison-des-blessures-du-passe-et-paix-interieure-isabelle-padovani.html
- Et vive les vidéos sur les chiens que l’on sauve de la noyade, les canards que l’on aide à traverser, les renards qu’on sort de leur piège et autres actions -magnifiques et qui me touchent-. Mais quid des êtres humains qui à un moment de leur existence se noient dans leur vie, des vieilles personnes tremblantes aux passages piétons qui n’osent pas traverser le flux étourdissant de la circulation, et de toutes les personnes piégées dans les abus et la maltraitance ?.....
.
/http%3A%2F%2Fwww.bfmtv.com%2Fi%2F226%2F127%2F087%2F087ec29283f2a21748f932ce2f2c7b06.jpeg)
Suicide de la jeune Emilie: le harcèlement et le collège mis en cause par sa mère
Emilie, 17 ans, s'est suicidée en sautant d'un balcon le 22 janvier dernier. En cause, le harcèlement qu'elle a subi au sein du collège privé qu'elle a fréquenté avant de le quitter pour dép...
D'autres jeunes filles, comme Emilie, ne s'en sortent pas...
/https%3A%2F%2Fi.ytimg.com%2Fvi%2F1OSRm9Jn2Tw%2Fhqdefault.jpg)
Harcèlement scolaire : le parcours de Raphaëlle Paolini
Harcelée à l'école, Raphaëlle vit une longue dépression et la déscolarisation. Epaulée par sa mère, elle retrouve le goût de vivre.
/https%3A%2F%2Fi.ytimg.com%2Fvi%2FRfkKsKyOtos%2Fhqdefault.jpg)
Harcèlement : Laura a mis fin à ses jours à 12 ans - #REPLAY #touteunehistoire
En France, avec 16,3% du total des décès, le suicide chez les adolescents représente la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans. Chaque année, près de 1.000 jeunes se donnent la mort,...
commenter cet article …