« Alors que notre pensée « à son meilleur…» se tisse comme une enveloppe pour entourer, -nimber- son objet, sans pourtant l’immobiliser, la pensée perverse, elle, ne vise qu’à emballer et enfermer, confondre et poindre sa proie, dans un filet serré de contrevérités et de non-dits, d’allusions et de mensonges, d’insinuations et de calomnies. C’est une pensée pour faire intrusion dans la préoccupation d’autrui, une pensée-poison, une pensée pour démentaliser, dévaloriser et disqualifier l’autre ; une pense toute en agirs et en manœuvres, qui fragmente, divise et désoriente. Non pas vraiment paradoxale (car le paradoxe, on le sait, prête encore à penser, et même parvient-il à prêter à l’humour), la pensée perverse ne fait au contraire qu’attaquer le moi tout autour d’elle ; démolissant les ressorts de la pensée, elle décourage et tend à démolir la compréhension dans son principe même ; l’habile dissémination d’informations falsifiées, l’imposition du non-à-dire (« ne répétez surtout pas que… »), la propagation des « on-dit », l’affirmation péremptoire : telles seront ses méthodes.
On se demande parfois comme il se peut faire que les mensonges des pervers -jusqu’aux plus monstrueux mensonges – franchissent avec une certaine aisance les barrières de la croyance chez autrui. Ce n’est pas qu’autrui soit sot, ni certes que le pervers soit intelligent, il est seulement habile, mais il est d’autant plus habile à tromper que pour lui la vérité n’a aucune valeur en soi, le résultat seul étant ce qui compte. Il est vrai que le souci de la vérité est un frein, en même temps qu’un stimulant, pour ceux qui n’aiment guère la « mal-pense » ; le pervers, lui, ne connaît pas de ces freins, mais, de leur fécondité, il ne connait rien non plus.
Bref, la pensée perverse exerce autour d’elle un véritable « détournement d’intelligence ».
Paul-Claude Racamier, in Les Perversions narcissiques
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