Voici un extrait de l'ouvrage de Sandrine Bureau "A nos forts intérieurs", dans lequel elle expose ses réflexions et son expérience par rapport au monde dit "spirituel" et ses dérives ou abus de langage.
Cela fait longtemps que moi aussi j'ai observé certains discours illusoires et déconnectés de la réalité intérieure des gens, qui se retrouvent "sur la touche", faute d'être accueillis dans leur souffrance et leur vérité du moment. Cela vaut pour des "guides" et tout autant pour les adeptes, les gens qui s'avance vers ce chemin spirituel et qui profèrent des sentences comme des mantras, complètement déconnectés de la dimension du coeur. J'ai moi-même reçu ces paroles somme toute violentes, où l'ami(e) thérapeute ou qui se sent éveillé(e) spirituellement saute la case "accueil" pour sermonner et asséner des conclusions sans appel sur ce qui est vécu et traversé.
Le chemin spirituel ne peut pas faire l'économie de la réalité, même illusoire, de ce que traverse l'autre. Surtout si le concept de base est : "l'autre est moi-même".... Là on nage en pleine révélation que le chemin proposé n'a pas forcément été confronté aux ombres et souffrances de celui/celle qui parle.
Et le chemin spirituel ne peut pas faire l'économie du discernement, la conscience est en effet celle qui voit tout et accueille tout.
MT
"Il est temps d'ouvrir les yeux et d'oser prendre conscience de l'abus et de la manipulation sous couvert d'amour et de postures dites spirituelles."
Sandrine Bureau
"Les tout premiers jugements négatifs portés par des adultes sur des enfants peuvent constituer des traumas selon leur sensibilité et le milieu dans lequel ils évoluent.
Souvent ces jugements induisent un sentiment de ne pas être à la hauteur, de décevoir, de mal faire.
Bien sûr si cela est entretenu tout au long de la vie, ce qui est souvent le cas, même adulte les jugements seront vus comme traumatisants, blessants.
Donc soit l'adulte va se sacrifier, se plier en deux pour que surtout l'autre ne puisse pas le juger méchamment, soit il va dire « ne juge pas ce n'est pas spirituel ».
Le jugement va devenir le bouc émissaire, main dans la main avec l'ego.
Pourtant, ce n’est pas le jugement le problème.
Ce qui est à voir c'est si les sentiments de dévalorisation, d'injustice, ont pu s'exprimer et être entendus ou à contrario brimés.
Enfant, nous pensons que l'adulte ne peut qu'avoir raison et donc l’enfant ne peut que se sentir blessé et fautif face au jugement d'un adulte.
Certains enseignements spirituels prônent avec force le dogme du non-jugement. Mais ils ne s’aperçoivent même pas qu'en disant ça, eux-mêmes jugent le jugement et se voilent la face sur leurs propres peurs face au jugement.
C'est une illusion de libération.
Cela permet de combler un temps les failles, les chocs, les railleries. C’est un enfant qui a grandi blessé et qui tente comme il peut d’évacuer ses traumas. Cela mène à la confusion, et pour des êtres fragiles, cela mène souvent à l'oubli de soi, au déni des souffrances qu'un autre peut lui faire subir, au présent comme au passé. Si une personne entend à longueur de journée « tu ne dois pas juger », si quelqu'un arrive en face de lui et l'agresse, verbalement ou physiquement, cette personne restera anéantie car dans l'incapacité de répondre, sous prétexte de non jugement.
Pourtant, parfois, le jugement est vital. Oser juger, oser se juger comme victime, oser juger l'autre comme m'ayant fait du mal peut être une question de survie. Tout simplement car il y a reconnaissance de sa vérité, des faits, de ce qu'il s'est passé, des blessures.
Sous le couvercle du non-jugement, il y a donc un déni de souffrance qui va s'installer. Pire encore, la culpabilité peut pointer son nez. Si cette personne se surprend à juger l'autre (ce qui peut être très sain dans certains cas), alors elle culpabilise, pensant qu'elle n'a rien compris et qu’elle n’est pas assez spirituelle ou « éveillée ».
Dans le monde spirituel, certains mots sont tabous : je pense par exemple aux mots victime, bourreau et sauveur. Il y a une sorte d'enfermement des comportements dans ces cases. Combien de fois ai-je entendu « il n'y a personne à aider car tout le monde est déjà guéri » donc subtilement cela laisse place à une indifférence face à l'autre sinon on est taxé de « sauveur ». Si on juge quelqu'un en osant dire « là je suis victime car l'autre se comporte mal avec moi, svp entendez moi », alors on devient à la fois victime et bourreau de par le jugement...
Plutôt que de recevoir avec empathie la personne qui souffre, là dans l'instant, on lui dit qu'elle n'a pas à se faire passer pour une victime car elle est « créatrice » de ses expériences... Encore une fois, c'est très subtil mais tout cela n'est que jugement recouvert de spiritualité bien pensante amenant l'individu à ne plus oser quoi que ce soit de peur d'être catalogué dans une de ces cases et donc ne pas être « spirituellement correct ». Pourtant si l'on regarde bien, que fait l'enseignant spirituel ? S'il « enseigne » c'est bien qu'il pense que d'autres ont besoin de lui, de son aide (même s'il fait passer ça sous couvert d'une communication depuis l'Unité...), qui plus est en se faisant payer...
L'enseignant spirituel se targuant de ce concept de non-jugement va éveiller chez certains une forme d’ admiration.
On peut vite idéaliser cette personne en pensant « enfin quelqu’un qui ne va pas me faire de mal car lui au moins ne juge pas ».
Quelle belle farce ! Un être humain juge, choisit, préfère, aime, déteste, etc etc. Même ceux qui se prétendent éveillés.
C’est impossible autrement. Et lorsque l'on est jugé par quelqu'un qui soit disant ne juge pas, le choc est encore plus brutal. C’est alors porte ouverte soit à la désillusion finale, mais qui est souvent reniée par peur inconsciente de voir s'effondrer des pans entiers de la fortification interne, soit porte ouverte au fanatisme.
J'ai vraiment été perturbée de voir qu'il existe un fanatisme spirituel tout autant qu'un fanatisme religieux. Je n'y avais pas pensé tellement cela me paraissait improbable. Mais si, le gourou intouchable, vénéré, défendu bec et ongles par ses disciples existe bel et bien. Certains ont des sortes de gardes rapprochées. Ces gens ne peuvent supporter que l'on remette en cause le discours « sacré » du « Maître à penser ».
Comme exposé plus tôt, cela renvoie bien sûr à la notion d'idéalisation, de non-remise en question d'un discours.
L'esprit critique est totalement mis de côté, comme une aliénation, et si une personne ose émettre un avis un peu différent de celui qui est prôné, elle peut vite se faire exclure du mouvement... Je l'ai vécu et j'en ai été profondément choquée. Les notions de jugement ainsi que celles de pardon sont liées à la responsabilité.
Certains êtres humains ont cette faculté de regarder beaucoup en eux, de s'intérioriser, d'essayer de se comprendre. C’est une qualité indéniable, mais elle a ses limites. Hélas, certains mouvements spirituels mettent en avant un côté « créateur » de tout, ayant pour dogme le fameux « tout vient de soi ».
Dans l'absolu, encore une fois, ce n'est pas faux mais cela peut être vite repris par une personnalité dominante qui se sert de ces phrases pour manipuler autrui... Et là commence la dérive. Des personnes ayant déjà tendance à ne jamais voir la faute à l'extérieur mais toujours en elles vont se reconnaître dans ce côté « créateur».
Ainsi, si l'autre me fait du mal, c'est moi qui l'ai cherché, je suis responsable de ce qui m'arrive, j'attire à moi ce dont j'ai besoin pour évoluer, etc... Et pendant ce temps-là, l'autre se frotte les mains, baignant dans son allégresse et son irresponsabilité.
Ces aspects-là sont très insidieux et il faut une grande volonté pour oser voir cela, mais c'est éclairer les zones sombres, mettre le spot dessus pour qu'elles ne puissent plus agir dans notre dos, sournoisement.
Il y a aussi une nuance très importante à apporter. Souvent, lorsqu'une personne ose parler de ce qu'elle a subi, ose mettre des mots, raconter des faits, cela peut être pris pour un jugement alors que ses paroles peuvent être posées de manière très neutre, comme un état des lieux.
Une exposition de faits, d’événements, n'est pas un jugement mais bien plutôt un éclairage de la réalité. Et cela est parfaitement sain et guérisseur."
Sandrine Bureau