8 h du matin, je tombe sur cette nouvelle. Je suis sidérée...
Guy Corneau nous a quitté dans la nuit de jeudi, presque en synchronicité avec l'épiphanie qui se fête aujourd'hui, le 6 janvier. Epiphanie vient du grec phaïno, qui signifie révélation, manifestation, être évident. Elle symbolise le retour de la lumière après les plus longues nuits d'hiver qui se superposent avec notre "nuit intérieure". Quelle manifestation secrète vient sceller le départ de Guy Corneau?
Son décès survient 15 jours après le départ de sa soeur Johanne Corneau, la peintre "Corno" internationalement connue.
Il s'était d'ailleurs exprimé en hommage à sa soeur, avant de partir pour le Mexique où celle-ci était décédée le 21 décembre.
Un sentiment étrange m'a envahie.
D'abord de l'incrédulité. Peu d'information ce matin sur la nouvelle, à part un site canadien, pouvait laisser croire à une fausse rumeur... si seulement si...
Ensuite, l'impression que cette mort soudaine, après avoir vu Guy Corneau s'exprimer si récemment, le visage si détendu, avait quelque chose d'incongru.
Guy Corneau, emmené par la faucheuse?
Lui qui a si longtemps et si durement bataillé contre la maladie et surtout "pour" la vie ?
Lui qui pouvait presque crier victoire, puisque stabilisé, et en tous cas crier "Revivre!" ?
Cet homme au parcours talentueux, qui faisait de ses avancées personnelles un enseignement perpétuel?
Cet homme qui avait fait de la guérison un apprentissage à transmettre?
Ce thérapeute qui avait osé revenir à ses passions et s'était investi dans le théâtre?
En écoutant cette "sidération" en moi à l'annonce de cette nouvelle, j'entendais comme une petite voix qui disait "non ! pas lui !".
Pourquoi pas lui? Est-ce que nos modèles devraient être intouchables? Est-ce qu'ils devraient être plus épargnés que d'autres?
Est-ce que après avoir traversé tant d'épreuves, on devrait "avoir le droit de vivre"?
Le départ de Guy Corneau, comme dans un dernier enseignement venait me dire : ne présuppose rien, ne te crois protégé par rien, avance sur ton chemin, mais sans aucune garantie.
D'ailleurs y aurait-il un "chemin", si tout était garanti?
En écho, les cinq dernières lignes d'un hommage que Thierry Janssen avait écrit pour le départ de Christiane Singer :
Découvrir que nos modèles de vie -ces guides qui nous paraissent avoir acquis une meilleure compréhension de l'esprit des choses et des êtres- sont vulnérables, nous renvoie à notre propre fragilité. L'accepter est peut-être le secret d'une conscience véritablement éveillée. C'est peut-être cela, qu'au travers des derniers fragments de son long voyage, Christiane Singer a essayé de nous dire. Avec humilité, avec humanité.
Ce départ me rappelle que quoi que l'on fasse sur notre chemin pour grandir, cela ne nous garantit rien, ni la santé, ni la vie, ni le bonheur, ni la réussite, ni quoi que ce soit.
Souvent des aspects de nous font les choses avec une sorte d'attente de réussite à la clé. On mange bio pour ne pas tomber malade... et malgré tout un jour la maladie se déclare... On va chez le psy, on fait des stages, pour être heureux, et des épreuves nous traversent sans qu'on puisse toujours les dompter, voire même on en a plus ou de plus dures que ceux qui semblent ne rien faire. On récite des mantras, on va voir des gurus, on fait du yoga, pour se penser spirituel, pour se croire au-delà de notre petit moi, et finalement on court seulement après des mirages, car la vie avance millimètre par millimètre, dans l'ici et maintenant, on ne sait pas grand chose de ce qui nous attend, nous ne savons pas quand ni comment nous serons rappelés, seuls comptent notre vérité intérieure et les arcanes de notre âme.
La fulgurance du départ de Guy Corneau nous montre que le voyage peut se faire d'un instant à l'autre. Quelle invitation à être "toujours prêt" !! Il n'y a pas d'âge, pas d'heure, pas de circonstances particulières pour acquiescer et devoir tout lâcher.
Il existe un grand écart entre la représentation de notre vie, nos attentes, nos certitudes, ce qui devrait arriver ou ne pas arriver, et ce qui arrive et nous dépasse. Et dans notre société, la réussite semble être de rester en vie (pas forcément vivant) le plus longtemps, avec zéro risque, la maladie et la mort étant considérées comme des échecs.
Mais qu'est-ce que la réussite? Etre bien portant ou être malade, être en vie ou mort? Ou bien est-ce avoir traversé les tempêtes, les courants, les épreuves, en restant intègre, en allant au plus près de soi, en gardant le coeur ouvert, en élargissant sa conscience, en diffusant sa lumière ?
J'ai déjà lu des commentaires qui disaient : il n'a pas été assez loin dans son travail (sur lui même)..... Mais qu'est-ce qu'on en sait de ce qu'il avait à faire, à comprendre et jusqu'où? Qui sommes nous avec notre tout petit Moi, pour pouvoir évaluer la destinée d'un homme? (d'autant plus quand soi-même on n'a probablement pas mis au monde le dixième de ce que cet homme a fait). Parmi les milliers d'expériences possibles, quelle tranche d'expérience vient de se terminer, quel cycle vient de s'accomplir? Vers quelle résolution chacun avance-t-il sur son chemin unique?
Ce qui me parait capital, c'est de pouvoir honorer chaque chemin parcouru, chaque avancée, en sachant que celui qui est passé par la maladie et a frôlé la mort a une longueur d'avance dans l'expérience.
Evidemment, ce sera l'occasion d'aller relire ses livres, d'écouter ses vidéos, ses interviews, pour prendre toute la mesure de ce que cet homme a laissé et transmis. Et je ne peux qu'être admirative du déploiement que Guy Corneau a fait de sa vie sur cette terre, de son engagement, devenant ainsi un phare pour beaucoup d'entre nous.
Sa notoriété a fait de lui quelqu'un d'universel et l'a fait rentrer dans nos foyers, comme quelqu'un de familier que l'on a l'impression de connaître à force de l'avoir côtoyé par l'écriture, l'écoute et les rencontres publiques. C'est pourquoi j'ai un peu l'impression d'être en deuil par son départ qui me prive de toute sa sagesse vivante.
Mais il reste, comme un rai de lumière fine au fond du coeur, l'image de son regard où furent préservées sa beauté d'âme et une douceur qui ne fut pas entamée par la souffrance et les épreuves.
MT