Je crois que j’ai commencé à t’attraper la main.
Je ne savais pas quoi faire de toi qui hurlais et pleurais à me rendre sourde, tympans éclatés, cœur craqué en morceaux.
Qui m’a dit que toi et moi ne faisions qu’une, derrière cet hologramme géant éparpillé en mille fragments ?
Qui m’a dit que l’amour et la présence recolleraient les morceaux, densifieraient l’image pour dissoudre le flou et l’incertain ?
L’amour s’est souvent perdu sur des chemins de traverse.
Il est long à revenir.
La présence, elle, s’est infusée en moi, elle est descendue comme un faisceau descend du ciel, comme un adoubement tendre et ferme. Avec la même puissance que cette douche d’eau glacée tombée sur mes épaules nouées, quand mon corps s’est offert, le souffle à moitié coupé, sous la cascade vivante et sacrée se déversant sur moi comme une armée d’êtres invisibles au galop.
Les arbres se balançaient doucement.
La lumière jouait dans les feuilles.
Peut-être que tout était silencieux autour.
Je ne sais plus.
J’entendais seulement l’eau cogner ma peau et les rochers.
L’autorité de la cascade était sans appel : sois là !
Sois là avec la même force que moi qui tombe sur la terre et qui me répands dans chaque espace ouvert !
Sois vivante comme moi !
Sois sans forme comme moi qui suis dense et sans consistance !
Sois jaillissante et transparente !
En rentrant, je me suis couchée de douleur, le corps encore habité de toutes mes lourdeurs, abrasé en surface par une force mordante.
J’ai commencé à respirer pour deux.
Et puis j’ai revu tes yeux petite fille, comme des olives mures.
Ces yeux qui depuis le commencement avaient questionné les adultes, cherchant à savoir où affleurait le lien à la vie. Ces yeux étaient devant les miens, me scrutaient au point de noyer mon regard, d’aspirer tout mon corps, comme deux soucoupes noires s’enfonçant dans le temps, mélangeant hier, aujourd’hui et demain.
J’ai commencé à te tenir la main, alors nos yeux ne sont plus qu’un, qu’un seul regard, qu’un seul couloir étroit s’ouvrant sur des passerelles entre les mondes.
Jusqu’où irons-nous ? Jusqu’où serons-nous à nouveau mère et fille, sœurs, amantes, garçonnes, anges, accoucheuses, diablesses et déesses ?
C’est étrange cette faim qui monte et vient me torturer le cœur, comme des petits coups de ciseaux. Je ne sais pas si c’est à cause de l’enveloppe qui se déchire en silence ou de ce qui dedans n’ose pas encore bouger.
Tu t’accroches au bas de ma jupe et sur le chemin que nos pas empruntent, j’entends un souffle léger, j’entends le vent qui passe dans nos cheveux, j’entends un merle qui chante.
Il chante si fort, tu entends ?
MT ©