Illustration Sophie Wilkins
On ne se connaît pas, on ne s’est jamais vu, je sais que tu es très occupé et que tu as énormément de choses à faire, mais j’aimerais que tu m’accordes quelques instants, j’ai des choses à te raconter.
Voilà, on m’a enlevé à ma maman et à mon papa que l’on a tué peu de temps après ma naissance.
Des psychologues m’ont enfermé dans « un puits du désespoir »; un haut et étroit cylindre de métal dans lequel ils m’ont laissé pendant 45 jours, je suis resté pris là, recroquevillé, les bras autour de mon petit corps. Les psychologues voulaient en arriver à certaines conclusions sur l’impuissance et le désespoir qui caractérisent la dépression humaine.
Puis on m’a enfermé dans une boîte avec une fausse maman en métal et en tissu (mère de substitution) que je prenais quand même dans mes bras, pour me sentir moins seul. Mais de temps en temps, sans prévenir, ma fausse maman me lançait des piquants électriques (électrochocs). Alors, je m’éloignais en pleurant pour me protéger. Et j’attendais dans mon coin que les pics disparaissent avant de revenir me blottir dans ses bras. Les psychologues voulaient tirer des conclusions sur le comportement d’un enfant en situation de rejet maternel.
Bien sûr, je sais que plein de gens sur la Terre vivent de grandes souffrances, par exemple, des enfants sont séparés de leur maman, des femmes sont battues, des grands-parents sont abandonnés, des enfants sont victimes de la guerre! Et ce que je veux te dire n’enlève rien à leur terrible souffrance mais ça me fait du bien de te parler de moi.
On m’a fait aussi courir longtemps dans une roue, pareille à celle des petits hamsters. Tu sais, je devais apprendre à courir à une certaine vitesse et pas moins ou plus vite. Si jamais je ne courais pas à la vitesse voulue, on me renvoyait des piquants électriques.
En plus, on m’a fait avaler de force des produits toxiques. On m’a envoyé de fortes doses de rayonnement radioactif, j’ai eu très mal au cœur et j’ai fini par vomir. Alors, j’ai arrêté de courir et on me renvoyait des électrochocs encore plus forts. Malgré la douleur, je fus contraint de recommencer à courir dans mon vomi, tant et aussi longtemps que j’ai pu. Tout ça pour que les chercheurs puissent tirer des conclusions sur les effets des radiations sur la capacité au travail.
On m’a aussi coincé une boîte de métal sur la tête, on a frappé dessus à coup de marteau pour me causer des traumatismes crâniens et examiner l’état de mes réflexes. Les chercheurs voulaient ainsi savoir dans quel état seraient les réflexes humains après avoir subi un traumatisme crânien.
Savais-tu que chaque année plus de 10 000 membres de notre famille sont ainsi massacrés inutilement et avec cruauté, et tout cela dans l’indifférence la plus totale.
Voilà, je voulais juste te le dire pour que tu saches pour que ces martyres puissent cesser un jour un peu grâce à toi.
Tu sais, ça m’a fait du bien de te raconter mon histoire, la misère de tant d’autres petits singes. Je pourrais continuer à te raconter les tortures qui nous sont infligées, la liste est longue. Heureusement que certains d’entre nous ont la chance de vivre en paix dans la Nature, avec leur maman, leur papa et leurs frères et sœurs …il paraît que c’est très beau la Nature, je suis si content pour eux.
De toute façon je garde quand même un bon moral pour l’avenir, parce qu’il paraît que des humains comme toi se battent pour tenter de nous délivrer et qu’ainsi un certain nombre d’entre nous retrouve une maman et une famille, je suis si content de savoir cela. Si seulement tu pouvais venir me chercher mais, je sais bien que cela n’arrivera peut-être jamais. Si tu savais combien de fois j’en ai rêvé.
Ces mots sont au creux de tes mains, au creux de ton cœur et il n’y a pas de place meilleure pour ma petite âme, moi petit singe de laboratoire qui rêve encore de pouvoir un jour contempler la Nature.
Merci de m’avoir lu jusqu’au bout. Si tu aimes les petits singes comme moi et tous les autres animaux, s’il te plaît, raconte mon histoire à tes proches, raconte-leur combien je suis si seul et perdu…
Joachim Younès
http://joachimyounes.blogspot.fr/