Si la définition, l'anatomie, l'utilité du pénis, ont largement été étudiées à travers les âges, on ne peut pas en dire autant du clitoris, qui a été tantôt incontournable (on croyait qu'il participait à la création des bébés, alors comme ça c'est très important... et bien il fallait donc bien le stimuler et en prendre soin) et tantôt complètement oublié, honni, méprisé.
L'actualité nous fait souvent bondir quand on lit des cas d'excision pour des femmes d'aujourd'hui, que ce soit par tradition dans leur pays ou en France, même si ce n'est pas autorisé. Ces pratiques sont dénoncées comme barbares, ce qu'elles sont, mais surtout comme si elles appartenaient seulement à une catégorie de peuples ou de civilisations.
Mais on a largement oublié, voire même on ne dit jamais qu'il n'y a pas si longtemps, le clitoris était excisé en France et en Europe en réponse à des symptômes comme l'épilepsie, l'hystérie, la catalepsie, l'onanisme. (1)
Evidemment, faut-il rappeler que toutes les personnes qui, au fil des siècles, ont eu un avis sur le clitoris étaient des hommes, et que la médecine, qui se croyait scientifique, était emberlificotée dans les projections masculines et dans la vision autorisée ou non-autorisée de ce que doit être une femme, son plaisir et la reproduction.
La longue épopée historique de l'étude du clitoris, d'Hippocrate à nos jours, est jalonnée de noms de médecins exclusivement masculins, et bien sûr, il n'existait aucune passerelle pour aller demander l'avis des intéressées...
Imaginez la situation parfaitement opposée, où sous prétexte d'une gente féminine à la tête des sciences et du corps médical, le sexe des hommes aurait été décrit, sanctionné, catalogué, médicalisé, castré, uniquement en fonction des frustrations et des représentations inconscientes de ces dames... Il y aurait eu peut-être pas mal de dégâts, mais on se serait vite révolté, car couper le sexe des hommes aurait eu des conséquences sur la fabrication de nos descendants ! D'où peut-être la naissance de la notion du "sexe fort", car indispensable, à la reproduction ?
Pas étonnant donc, qu'à force de tant de déni et de mise à l'écart au niveau scientifique, le clitoris finisse par avoir des contours un peu troubles dans l'inconscient, dans la représentation psychique des femmes ou des hommes.
Pas étonnant non plus, que bon nombre d'activités étaient mal vues pour les femmes, comme l'équitation, la bicyclette, mon dieu, des fois que ça leur donne du plaisir. Il faut comprendre toutes les conséquences que cela a eu dans l'inconscient collectif sur la façon dont un corps de femme doit se vivre.
Bien que déjà parfaitement décrit en 1844 par le Dr Georg Ludwig Kobelt, anatomiste, la réactualisation de son anatomie en 1998, puis sa première échographie en 2008 (voir les travaux d'Odile Buisson), a permis de comprendre que vagin et clitoris sont intimement liés dans les stimulations, et que contrairement à ce que disait Freud, il n'y aurait pas d'un côté "les vaginales" et de l'autre, "les clitoridiennes", mais peut-être seulement des femmes qui sont plus ou moins bien stimulées par leurs partenaires (20 minutes de stimulation sont nécessaires pour que le clitoris soit en érection à son maximum), et qui par leur histoire peuvent plus ou moins facilement s'abandonner au plaisir.
« Le clitoris est le seul siège du sens et du spasme génésique chez la femme ». « Il n’existe pas de femme sans besoin, il n’existe pas de femme privée de sens, il n’en existe pas d’impuissante au spasme génésique. Mais, en revanche, il existe un nombre immense d’ignorants, d’égoïstes, de brutaux, qui ne se donnent pas la peine d’étudier l’instrument que Dieu leur a confié » dit Jules Guyot, médecin du Second Empire qui publia "Bréviaire de l'amour expérimental" en 1859.
La question de la représentation sexuelle est une question philosophique, politique et intime car elle interroge sur l'autonomie sexuelle de la femme et sa place dans la société et à côté de l'homme. Bien au-delà de l'anatomie, la sexualité reste un processus psychique dont les contours sont façonnés par l'héritage transgénérationnel et historique.
Pour que les choses puissent se concevoir psychiquement, il faut qu'il y ait le langage et la représentation non amputée des choses en question. Si chaque individu est responsable de sa capacité à transformer ses représentations, la société est aussi l'espace où ces représentations doivent changer en réhabilitant les zones que son inconscient a laissé dans l'ombre, par paresse intellectuelle ou scientifique.
MT
(1) La littérature médicale permet de recenser une bonne dizaine de médecins français y ayant eu recours. Les techniques employées varient : ligature, cautérisation, coup de bistouri, écraseur, section des nerfs. En France, elles n’ont jamais été banalisées et sont le plus souvent conçues comme la dernière solution après échec de toutes les autres tentatives (surveillance continue, bains froids, appareils de contention nocturnes, etc.)42. À deux reprises, des sociétés savantes en débattent (la Société de chirurgie en 1864 et la Société médico-psychiatrique en 1869). Sans conclure définitivement, les médecins répètent les mises en garde habituelles : la clitoridectomie ne peut être exercée qu’avec l’accord de la patiente ou de ses parents et si tous les autres moyens ont été employés sans succès précédemment. L’histoire médicale des États-Unis est sur ce point très similaire. Sarah Rodriguez y a recensé vingt-quatre publications sur le sujet entre 1867 et 191243. Selon son étude, la clitoridectomie n’est pratiquée qu’en dernier lieu, tandis que la circoncision du prépuce peut être utilisée pour résoudre une insensibilité. En revanche, au Royaume-Uni, le gynécologue Isaac Baker-Brown a mis cette opération en vogue à Londres, avant d’être exclu de la Société obstétricale de Londres en 186744. Cette mutilation cruelle qui compromet grandement l’avenir sexuel des petites filles démontre bien qu’aux yeux des médecins chirurgiens le gland du clitoris est le lieu du plaisir. Nul ne songe à cautériser au nitrate d’argent les parois vaginales. Il est vrai que cela pourrait compromettre le coït.
Sylvie Chaperon "Le trône des plaisirs et des voluptés : anatomie politique du clitoris"